Divers

Chapitre 3

C’était le dernier mouvement de l’hymne lorsque l’officier en second, le visage crispé, le regard ombrageux, vint se présenter devant le capitaine. Sans lâcher un mot, il invitait son supérieur à regarder au-delà des larges baies vitrées. Il n’y avait plus d’horizon. Une fumée de mer, sournoise, profiteuse d’un équipage souffreteux, s’était invitée au bal et avait enveloppé le submersible en quelques minutes.

Le risque de collisions, d’échouages à l’approche de l’Île du Cap-Breton fit frémir mon cavalier des mers, qui n’allait pas tarder à me planter là, sans me baiser la main, pour retrouver le centre de pilotage.

Comment ne pas penser à ce terrible naufrage survenu au début du 18e siècle, dont l’épave avait été retrouvée dans les années 60 ? Il n’y eut aucun survivant. Parmi eux, l’intendant du Québec, le fils du gouverneur de Montréal, le gouverneur des Trois-Rivières, des colons, des hommes de troupe, des matelots et des mécaniciens avaient péri, après avoir percuté des récifs dans les parages de Louisbourg, lors d’une nuit aoûtienne. La disparition de ce bâtiment de la Marine royale française, qui assurait la liaison entre les deux continents, était devenue une légende locale. La perte du vaisseau du Roy « Le Chameau », conté dans les gazettes canadiennes, relaté dans les fonds du secrétariat d’État à la Marine et aux colonies, exposé au musée maritime de l’Atlantique à Halifax, suscitait encore l’intérêt et occupait les colonnes d’une presse spécialisée pour des projets documentaires en 3D. Les circonstances de la catastrophe semblaient se répéter.

Inquiété, le bellâtre s’écarta des volants de ma robe et par un geste brusque, provoqué par une préoccupation justifiée, le bouton de sa manchette accrocha le fermoir du sautoir. Le collier, libéré, glissa entre mes seins affranchis d’armatures et de bonnets, poursuivit sa route sans marquer l’arrêt devant le triangle de coton et de dentelle, pour finir sa course, entre mes sandales, sur le parquet d’un chêne ciré. Le bijou, lors de sa descente lubrique, avait provoqué quelques émoustillements et s’est embarrassée par la situation, que je regardais les petites pierres, les mailles et autres éléments décoratifs, avec étonnement, comme si je n’avais jamais vu l’objet. Je grimaçais de malaise lorsqu’il ordonna au subalterne :

– Ralentissez la vitesse, allumez les feux, sortez la corne de brume. Puis en me regardant de la tête aux pieds et des pieds à la tête, il ajouta à mon intention : Primo, regagnez votre cabine. Deuzio, ne remettez pas cette amulette à votre cou sans en connaître le symbole. À moins que vous souhaitiez vous confronter à la colère d’Iris ?

Offensée et irritée par son ton désinvolte et supérieur, je ramassais le talisman maléfique, tournais les talons et regagnais mon antre d’un pas pressé. Le souffle saccadé, j’insérais la carte magnétique dans la fente du lecteur de porte et avec célérité, j’entrais dans l’espace réduit mais luxueux. D’un geste expéditif, je me débarrassais des souliers, déposais avec précaution le redoutable joyau sur le bord du lavabo et me faisais couler un bain. La baignoire, rétro mais de taille convenable, se remplissait lentement, avec en sus, bulles de savon à foison. J’y ajoutais le sel marin, mon petit canard de bain et un premier orteil, lorsque l’on frappa à la porte.

– Room service !

– Je n’ai rien commandé, hurlais-je.

– J’ai, sur ordre du commandant, la tâche de vous déposer dans votre cabine, un plateau-repas. Puis-je entrer ?

Je ronchonnais. Il commençait à me courir sur le haricot celui-là !  Il passait son temps à me quitter pour son gouvernail et jouait, ensuite, le gentleman généreux et bienveillant. Grrrr !

– Je suppose qu’il vous a demandé d’insister en cas de refus ?

– Oui madame.

– Très bien, je capitule. De toute façon, mon ventre crie famine.

Sans me préoccuper davantage de ce contretemps, je lançais le Sonos et entonnais avec intensité  » anomalie bleue » (1) en faisant des ronds dans l’eau et des clapotis avec tous les doigts de mes mains.

1 :

Lancer la video et poursuiver la lecture après les premières paroles

Je me serais abstenue de faire mon show, s’il s’était annoncé. Son reflet, dans le miroir embué, provoqua un tsunami. Mon talon, appuyé sur le mitigeur, pris la fuite et c’est tout mon corps qui se fit la malle sous l’eau savonneuse. Les vagues causées par la panique, inondaient le tapis de bain, et proche de la noyade, je m’agitais sans prendre garde que le colvert attirerait sa curiosité. D’une main, il le saisit, déclenchant la vibration et de l’autre, attrapa ma queue-de-cheval pour me hisser hors du bain. La douleur du cuir chevelu n’était rien à côté de l’humiliation subite. Les tétons, désormais à découvert par une mousse parsemée, la mèche dégoulinante, la bouche ouverte, les yeux piquants, je grondais des jurons.

– Fais chier !  Putain ! Lâchez-moi !

Sans réfléchir aux conséquences, il desserra sa main et je repartis faire un tour au fond du réservoir. La tête immergée, les mains agrippées au bord, je pus me lever d’un bond, le laissant découvrir une nudité pourpre et un regard furibond.

– Que dois-je faire de cela ? s’empressa-t-il de demander, calmement et sourire narquois.

Dépitée, je regardais mon sex-toy tressauter dans sa paume.

– Il semblerait qu’il vous demande un câlin, ajoutais-je pour me moquer de son ignorance sur l’accessoire.

– Êtes-vous bien sûre que ce ne soit pas vous qui soyez en recherche de tendres frissons ?

– Sortez de là ! Vous n’êtes pas le seigneur de ces lieux pour entrer sans autorisation. Tenez-vous-en à la manœuvre de ce rafiot et épargnez-nous le même sort que les occupants de flûtes (2) illustres.

– Charmante et instruite ? Wahou ! Je suis impressionné !

– Les galons ne sont pas gage de savoirs approfondis, me vantais-je en cachant mon con avec la parure mystérieuse, attrapée sans précaution, pour gagner en prestance.

– Il est vrai. Ah ! J’ajouterai ceci avant de disparaître … Préférer la bouée au jouet ! Manifestement, vous ne savez pas nager en fond plat. Et n’oubliez pas … Iris… Balthazar !

– Balthazar ? Hey ! Attendez !

L’arrogant, avait claqué la porte en emportant le colifichet…

2 : Gros navire de charge utilisé au XVII et XVIIIe siècle pour le transport des approvisionnements nécessaires aux navires en campagne et aux stations lointaines.

Texte déposé : II.VII.MMXXII et modifié le III.VII.MMXXII

1 commentaire

  1. Je n’avais pas lu « le canard ». Quelle négligence…
    Découvertes, intrigues montées façon Lego, pièce par pièce…
    Et surtout des mots qui nécessitent l’ouverture du Dico (ouvert au moins trois fois par jour).
    J’adore. Que de découvertes, vivement la suite….

Laisser un commentaire