Lettres épistolaires

Pourquoi un échange épistolaire sous anonymat

Saviez-vous que Maria Casarès et Albert Camus ont correspondu durant douze années ? Pas moins de 865 lettres ont été postées entre 1944 et 1959. William Churchill et son épouse Clémentine, s’écriront plus de 1700 missives, télégrammes et notes personnelles entre 1908 et 1964. Victor Hugo et Juliette Drouet, Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, Lou et Guillaume Apollinaire, Virginia Woolf et Vita Sackville-West mais aussi Jean Cocteau et Jean Marais, consacreront une grande partie de leur temps, à l’écriture de mots doux. Toutes ces correspondances témoignent d’un amour étourdissant et d’une complémentarité entre ces personnages si exceptionnels. Mais les sentiments amoureux ne sont pas toujours à l’origine d’échanges épistolaires. Prenons l’exemple d’Alain-Fournier, écrivain, Jacques Rivière, homme de lettres et directeur de La Nouvelle Revue française, et André Lhote, peintre. Voilà un trio épistoliers réunis autour d’une même passion commune : l’art. André Gorz, journaliste et philosophe, rédigea une lettre de 74 pages à Doreen. Un résumé d’une vie de partage et de confiance. Et puis, il y a celles écrites à titre posthume. Pierre Bergé à Yves Saint Laurent, Brenda Schmitz à David, son époux, qui fit pleurer l’Amérique. La liste est longue et les bonnes raisons d’écrire sont multiples.

Je suis Cory, pour d’autres Bigoudi. Deux surnoms pour cacher un prénom romanesque, cité dans la comédie humaine d’Honoré de Balzac. L’héroïne, de second rôle, tombe amoureuse d’un jeune provincial épris de gloire littéraire. Elle, courtisane et comédienne, accepte de vivre misérablement aux côtés de ce grimaud avant de connaître une tragique coda. Aussi étrange que cela puisse paraître, je me sens en résonance avec son destin. Je guerroie pour ne pas connaître les mêmes vicissitudes et me téléporter dans des mondes virtuels me promet répit. Subir l’attraction terrestre est un bonheur lorsque je piétine les campagnes, les bois, les berges et les rivages, mais dès qu’il s’agit de côtoyer l’humain, tout me parait plus théâtral. Rien n’est moins sûr qu’un sourire. Non ?

J’ai pesé le pour et le contre de déposer sur papier les mots de la colère, de l’incompréhension, des doutes mais aussi des petits bonheurs. J’ai mesuré mes chances et réfléchi à l’échec. Et je suis arrivée à me convaincre, qu’écrire serait un moyen additionnel de me guérir de cette dyslexie, pesante et infirmative. Surpris de lire que je suis victime d’un handicap tordu, qui m’oblige à négliger les chiffres pour apprendre l’orthographe de tous les mots ? Abasourdi de lire qu’il me faille user de stratagèmes pour ne pas être la risée discrète ou pas, de ceux que je considère chanceux de ne pas avoir à se cacher d’une anomalie ?

Désormais, vous comprendrez mon choix du format épistolaire. Les missives sont de courts échanges aux récits fictifs ou authentiques et discontinus, me permettant de souffler et de me renouveler. Le journal intime est une distraction vouée à ne pas être partagée. Les quelques entorses à mes règles existent que pour ne pas me sentir trop rigide et me rappeler que je ne peux pas passer mon temps à rêver trop vite et trop fort. Partager, exige quelques autocensures. Quant au choix de l’anonymat, j’ai pensé qu’il me préserverait des jugements si l’élu était original mais appliqué, combattant mais loyal, couronné mais servile, vigoureux mais délicat, moraliste mais libéral, bienveillant mais facétieux. Bref, qu’il soit un adversaire garant de mon audace, de ma maladresse et de mon élucubration. Qu’il soit tantôt un Batman (héros), tantôt un Joker (antihéros), un inconnu plutôt qu’une connaissance.

N’étant pas une cavalière émérite, je n’avais pas le bon cheval à portée de mains pour soulever un sabot et trouver le correspondancier sans faire preuve de patience, d’observation et d’écoute. Alors, j’ai attendu. Et durant tout ce temps, les stratus, cumulus, cirrus et autres réservoirs de gouttelettes en suspension ont été les catalyseurs de mes évasions.

Et puis une nuit, il m’est apparu. Il était une ombre au milieu d’un espace public. Il se déplaçait lentement entre une peuplade jeune et ébouriffée. Des objets, certains accrochés au mur, d’autres déposés sur des marbres, disqualifiaient un musée ou même une exposition. Des moulures étaient en cours de création. L’endroit ressemblait à la caverne d’Ali Baba sans les scintillements d’un or volé. L’univers, fourriériste, ne m’était pas inconnu. J’avais foulé une, deux fois, un sol parsemé de poussière blanchâtre où l’atmosphère avait retenu mon attention. Je me suis rappelée, des visites incongrues et surprenantes dans cet antre. Je me suis souvenue les mots d’un conteur, me dévoilant les exploits de l’un des occupants. J’en étais ressortie bouleversée et intriguée. Ce locataire mystérieux, au prénom évocateur de réussite, Van Goth, Auriol, Cassel, Lindon, Perez, pouvait devenir le personnage de mes fictions ? Et sans lever les yeux au ciel, à l’aurore naissante, sans rechercher l’un de ces cotonneux nuages, je me suis mise à écrire la première missive.

J’ai voulu être rassurante « Je ne suis en rien dangereuse ni même maléfique. Mes pouvoirs sont d’un ordre aimable, curieux, et respectable ». Mais mes mots n’ont pas eu l’effet escompté. Une lettre courte mais claquante me parvenait trois jours plus tard. Il me proposait d’autres proies : « Pour ne pas laisser en vain votre démarche audacieuse, je dispose d’autres adresses électroniques d’acteurs passionnés qui auront sans aucun doute, beaucoup moins d’apriori que moi… ».

Je me devais de rédiger un ultime billet. Il me fallait le convaincre et l’emmener sur la première case de mon tapis de jeu. Je le voulais lui et personne d’autre… « Avez-vous fait l’effort d’indiquer une ambiance d’écriture et de me répondre sous la forme épistolaire juste pour que nous échangions sur la pluie et le beau temps ? C’est agréable mais limité. Je ne veux pas vous importuner et je ne souhaite pas être identifiée. Si vous décidiez de me faire confiance, confiance aveugle j’en conviens, vous n’aurez pas à vous le reprocher ».

Et mon lancer de dés fut un petit succès. Il accepta de me donner le change. La victime se transforma en un redoutable adversaire et devint mon jouet, ma muse.

Voilà plus d’une année que nous échangeons ponctuellement. Et je crois, l’un comme l’autre, que nous guettons notre boîte, tant nous nous amusons dans notre monde virtuel.

Depuis quelques mois, nos échanges ne sont plus de même ordre. Il sait qui je suis. Le masque est tombé. Comment cela est-il arrivé ? Eh bien ça, je vous le raconterai lors d’une prochaine confidence.

Nota Bene : Si ponctuellement, je le prends pour un marin, un fantôme, un coach, un maître d’armes, un lecteur, un vacancier, un parolier en herbe, je peux vous confier qu’il est devenu un petit ami. Mais chut ! Il ne doit pas en avoir vent ! Nous n’avons pas besoin de courant d’air, d’Alizée, de Sirocco, de Mistral, de Tramontane, d’Autan. Ces mots n’ont pas besoin d’être alourdi de chaines… Je le veux libre tant il a gagné mon esprit, ma confiance et le respect…

Texte définitif : VI.II.MMXXII

1 commentaire

  1. J’attends la prochaine confidence…

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